La vie parfois fait Plouf ! (Muse)

>> Le soleil ne s’était pas encore montré, même si ses rayons orange pointaient par-dessus les hautes montagnes du Clan des Sapins. Les tanières étaient endormies, on n’entendait que les respirations de chat endormis. Même la sentinelle postée à l’entrée du Camp piquait du nez. Qui pouvait attaquer le Clan des Saules, quand tous les territoires regorgeaient de gibier avec la saison des feuilles nouvelle ? Qui pouvait franchir le mince gué immergé, seul accès au Camp, sans se faire repérer dans la microseconde ? Personne. Tout le monde dormait donc paisiblement.
Au fond de la tanière des apprenties, sur la plus reculée des litières, deux petites lanternes rouges de mirent à luire. Nuage d’If, comme souvent, était réveillée dés l’aube. Glissant sans bruit hors de son nid de mousse, la jeune chatte ondula entre les corps tranquilles de ses camarades et émergea à l’extérieur, levant le nez pour humer l’air frai avec délice. Ses petites oreilles se dressèrent sur son crâne et sa queue fouetta l’air dans un instant de satisfaction. En ces jours ou la chaleur devenait franchement prononcée, l’apprentie d’Etoile de Feuille appréciait de plus en plus le matin et sa douce clarté rafraîchissante. Nuage d’If s’étira, puis se dirigea vers la réserve de gibier ou un petit pinson semblait l’appeler. En guise de petit déjeuner, cet oiseau rachitique suffirait. Elle savait qu’Etoile de Feuille prenait la patrouille de midi et elle avait quartier libre jusqu’au soir, ce qui lui laissait le temps d’aller chasser un ou deux poissons et de barboter un peu dans l’eau du torrent. Ensuite, elle verrait.
Son pinson avalé, Nuage d’If se dirigea vers l’entrée ou elle croisa la patrouille de nuit qui rentrait. Elle les salua en se faufilant entre les buissons qui ceinturaient le camp. L’apprentie gagna la rive de l’île et nagea lestement, traversant le plan d’eau qui la séparait de la berge du lac, puis prit la direction du torrent.

Perchée sur la berge, à l’affut sur une pierre blanche, Nuage d’If scrutait l’eau de ses yeux rubis. Des petites flèches d’argent frétillaient dans le courant mais ce n’était pas ce qui l’intéressait. Non, elle le savait, le gros gibier allait arriver. Il fit enfin son apparition au détour d’un rocher, et l’apprentie se força à rester totalement immobile. Un gros poisson qu’elle avait remarqué plusieurs jours avant, mais qu’elle n’avait pas eu le temps d’avoir. Elle savait que ce genre de poisson restait souvent longtemps dans le même secteur, aussi l’avait-elle attendu. Levant sa patte tout doucement, Nuage d’If banda ses muscles, son antérieure suspendue au dessus de l’eau. Maintenant.
Vive comme l’éclair, sa patte plongea dans l’eau, griffes sorties. Ce fut facile, bien plus que ce qu’elle avait imaginé. Le gros poisson était lourd, et lent, et ce fut sans mal que les griffes de la jeune femelle déchirèrent ses écailles pour se ficher dans sa chair. L’apprentie ramena le poisson hors de l’eau, le coinça avec sa seconde patte et d’un coup de dents, l’acheva. Satisfaite de sa prise, elle s’ébroua, puis traîna son butin à l’ombre. Elle n’allait pas tarder à rentrer mais elle voulait voir si elle n’attrapait pas autre chose. Retournant à l’affut sur son rocher, elle se remit à observer les flots, sa queue battant au rythme de son regard qui oscillait de droite à gauche. Un autre poisson, plus petit mais de taille respectable, venait de surgir dans l’ondée. Tendue comme un arc, Nuage d’If leva la patte lorsqu’un bruit derrière elle la fit sursauter. Elle n’était pas peureuse, loin de là, mais elle était si concentrée sur sa proie qu’elle avait été surprise. Elle voulut se retourner toute en plongeant la patte dans le courant, et elle glissa. Avec un petit cri, l’apprentie tomba dans le torrent.
Instinctivement, elle battit des pattes, mais elle avait pied et elle se retrouva vite sur ses quatre pattes. Le courant était faible à cet endroit, à peine une caresse qui entraînait son pelage et sa queue vers l’aval. Dans l’eau jusqu’au menton, Nuage d’If secoua la tête pour chasser l’eau de ses cils, dressant par la même occasion tous les poils de son crâne en l’air. Un rire cristallin résonna à ses oreilles tandis qu’un éclair de fourrure crème attirait son attention.

-Muse Eternelle !

S’extirpant de l’eau, la jeune femelle fusilla sa magnifique sœur du regard, partagée entre l’amusement et la colère. Son pelage était plaqué contre son corps, aussi s’ébroua-t-elle, finissant en mode porc-épic. Qu’est ce qu’elle foutait ici, à se foutre d’elle, celle là, hein ?
C’est tout naturellement que ces mots se glissèrent hors de sa bouche :

-Te moque pas, Peluche !

Elle faisait bien sur allusion au pelage blanc et duveteux de sa grande sœur, pas si grande que ça d’ailleurs.

>> De quoi ? DE QUOI ?
Genre. L'autre elle arrivait, elle lui faisait peur, elle se foutait d'elle, et après elle lui faisait un cours. Mais vas-y fais le mentor, je te dirais rien. Espèce de... Peluche. Encore, oui. La chatte tigrée observa sa sœur qui lui donnait la leçon, tandis que son pelage reprenait peu à peu une position normale. Secouant la queue, elle en chassa quelques gouttelettes qui s'envolèrent alentour.
Nuage d'If ouvrait la bouche pour répliquer mais sa sœur, plus rapide -pipelette, pipelette- enchaîna presque immédiatement sur le programme de l'après midi, avant que sa cadette ait seulement comprit de quoi elle parlait.

-Ça te dirait de passer l’après-midi avec moi ? De toute façon, pas le choix, j’ai prévenu Feuille que je t’enlevais jusqu’à ce soir. Tu veux faire quoi ? Moi je pensais chasser ou bien déconner comme des gamines à se battre ici, jusqu’à ce qu’on se retrouve la gueule dans la flotte. Enfin non, même dans l’eau on continuera. Ça sera trop drôle, non ?

Sa sœur était peut-être la plus belle et la plus attirante des chattes du Clan, elle était en réalité une vraie gamine dans sa petite tête duveteuse. Nuage d'If se demandais parfois si sa Muse Éternelle était ainsi uniquement avec elle, et si son comportement était différent lorsqu'elle était seule avec sa jumelle. Qu'importe, l'apprentie aimait que sa sœur soit ainsi.
La femelle blanche lui sauta dessus sans prévenir, avant qu'elle puisse répondre, et les deux frangines roulèrent dans l'herbe qui bordait le cours d'eau en se chamaillant. Au contraire de ses deux sœurs, qui étaient de petite taille et tout en finesse, Nuage d'If était solidement bâtie et, si elle était minuscule étant petite, elle avait rattrapé tous les apprentis et les dépassait a présent. Sa fulgurante croissance avait surprit tout le monde, autant par sa rapidité que par son caractère mystérieux. En effet, personne n'aurait imaginé que la fille de la petite Gemme Incandescente diffèrerait autant en taille de ses deux aînées. L'apprentie était donc dotée de larges épaules et de grosses pattes qui faisaient d'elle une nageuse hors pair.
Elle eut plus de difficultés à se débattre dans le long pelage de sa sœur, qu'à cause de son poids plume. Elle réussit finalement à faire basculer Muse Éternelle et posa ses grosses papattes sur les épaules de la guerrière. Ses yeux rouges étincelèrent, triomphants, lorsqu'elle les planta dans ceux, magnifiquement turquoise, de son canon de frangine.

-Rectification, Sœurette. C'est toi qui finira dans l'eau, moi j'ai déjà donné !

>> Nuage d'If n'avait strictement rien fait, mais sa grande sœur s'était tout de même débrouiller pour terminer à la flotte. Elle est pas normale, elle. L'apprentie sourit pour elle même en songeant que personne n'était normal dans cette famille de dingues. Observant d'un air narquois sa sœur qui s'extirpait de l'eau, la gamine lâcha un rire sonore, histoire de bien montrer a sa sœur qu'elle se foutait d'elle. Elle écopa d'une douche de gouttelettes en guise de revanche et fit un bond en arrière. Pas envie d'être trempée deux fois de suite. Nuage d'If secoua ses moustaches pour en chasser les gouttelettes, et s'approcha de sa sœur qui faisait sa toilette. Un pelage magnifique comme le sien demandait de l'entretien, et les poils longs, blancs et soyeux de sa sœur étaient toujours d'une propreté irréprochable, impeccablement lissés. Tout le contraire du pelage court, brun et ébouriffé de l'apprentie qui s'attela aussi à une toilette rapide. Si elle n'avait pas hérité de la beauté de sa mère autant que ses deux sœurs, elle était aussi capable d'être jolie, surtout qu'elle paraissait bien plus âgée qu'elle ne l'était en réalité. Il fallait croire que son apparence commune était compensée par ses capacités physiques et son extraordinaire croissance.
Alors qu'elles passaient toutes deux au nettoyage des pattes, sa sœur s'immobilisa au milieu de son geste.

-Tu la trouve comment, toi, Nuage Roux ?

Nuage d'If fixa sa sœur un instant, interdite, se demandant pourquoi cette petite apprentie intéressait Muse Éternelle. Puis elle se rappela que Étoile de Feuille avait nommé très récemment la jolie guerrière en tant que mentor de Nuage Roux à la place de leur incapable lieutenant. Une belle victoire pour Muse, d'ailleurs. Ses pensées se portèrent sur sa camarade rousse, sur laquelle sa sœur voulait connaître un avis.
Parmi tous les apprentis de la pouponnière, Nuage Roux était une des rares qui ne lui avait jamais cherché de noises à cause de ses yeux rouges. La gamine était gentille, bien qu'un peu capricieuse, tantôt adorable, tantôt moqueuse et susceptible. Mais dans l'ensemble, Nuage d'If avait un avis plutôt positif d'elle.

-Ben, ça va...

Un autre félin aurait peut-être du se contenter de cette réponse, mais quand il s'agissait de Muse ou Feuille, l'apprentie se montrait toujours plus bavarde. Aussi développa-t-elle sa réponse en continuant sa toilette, passant sa patte sur ses oreilles.

-Elle a l'air gentille, j'ai jamais eu de problèmes avec elle. Mais si j'étais toi, je la mettrais au régime stricte, elle a l'air intrépide, un peu trop téméraire. Mais c'est toi son mentor, c'est toi qui décide !

Nuage d'if conclut sa phrase d'un regard malicieux tout en humidifiant encore sa patte pour se débarbouiller.

-D'ailleurs bravo pour avoir coiffé Plume Argentée sur le poteaux. Je ne peux pas me voir cette feignasse qui préfère bouffer des graines que de pratiquer des activités pour conserver sa forme. J'ai jamais touché à ces graines, et j'ai pas un corps de rêve ? En la nommant, c'est bien la seule fois ou Feuille s'est trompée royalement.