La nuit n'est pas faite que pour rêver. [Nuage de l'Océan.]

« Nuage de l’Océan, tu peux ...
- Non. »

L’apprentie leva ses grands yeux mordorés vers l’autre novice, avec un petit gémissement. Elle prit un air implorant, gémissant de plus belle. Et lui ne lui accorda pas un regard, haussant les sourcils d’un air méprisant. Elle finit par soupirer, reprenant un air neutre, quoiqu’un peu exaspéré. Un peu buté aussi. Avec un sourire, son camarade lui colla un coup de langue sur l’oreille.

« Mais Océan ... J’ai mal à ma patte ... C’est qu’une graine de pavot, elle verra rien Songe Mystique ...
- Ma pauvre chérie.
- Oh allez ! J’ai mal !
- Et moi ce n’est pas à la patte que j’aurais mal si je vole des graines à Songe Mystique. C’est à elle qu’il faut demander, pas à moi. Point final, au revoir mesdames et messieurs, moi je vais ramasser des feuilles de souci. Tu m’accompagnes ?
- Rêve, après ce que tu viens de me faire, tu peux te les mettre là où je pense, tes feuilles !
- Quelle poésie, quel lyrisme, ma chère amie ! »

Avec un sourire amusé, Nuage de l’Océan poussa doucement sa camarade apprentie, puis il quitta la tanière de la guérisseuse. Euh, excusez moi, la tanière de sa mentor. Et son terrain de cours, vu que c’était ici qu’il apprenait la plupart des choses. Quand Songe Mystique daignait le convoquer, bien entendu. Mais bon, la guérisseuse était solitaire et misanthrope, et il avait juré de s’adapter à son caractère, ce qu’il faisait au mieux. Il quitta la tanière, donc, notant au passage que la nuit tombait. Assis devant le pas de la porte, il eut un moment d’hésitation ; devait-il partir en pleine nuit chercher des feuilles de souci, qui comme nous le savons tous sert de désinfectant, ou attendre le lendemain et risquer de se faire engueuler parce qu’il avait désobéi à Songe Mystique ? Allez, hop hop, on y va, tant pis pour la nuit ! Un chat voit dans le noir, après tout ! Il se remit en marche d’un pas déterminé, feignant de ne pas voir ses frères et sœurs le suivre du regard en se taisant quand il passa devant eux. Bande de chiures de moineaux. Haussant les épaules, il les ignora avec superbe, traçant vers l’entrée du camp. Sous le promontoire, un matou montait la garde, prêt à intervenir si ...

« Tu vas où Nuage de l’Océan ? »

Volte face de la part du jeune apprenti. Prêt à intervenir si un novice tentait de fuir le camp, apparemment. Avec un grand sourire, le chaton se tourna vers lui, l’air innocent :

« Mais chercher des feuilles de souci bien sûr !
- Alors que la nuit tombe ? – l’air sceptique du guerrier n’échappa pas à Nuage de l’Océan.
- Mais bien entendu ! C’est plus romantique !
- Et t’as besoin de romantisme pour cueillir des feuilles toi ?
- Oui, c’est trop chou de rentrer au camp à minuit en tenant ses p’tites feuilles et de dire à son mentor que “ô grande Songe Mystique, j’ai risqué le danger et j’ai vaincu les démons de mes nuits pour aller chercher ces quelques feuilles de souci”, tu ne trouves pas ?
- ... »

Le caractère du chaton était ... Surprenant. Répondant toujours lorsqu’on lui faisait une remarque, il parvenait à presque toujours avoir le dernier mot. Doté d’un mental d’acier – inoxydable je vous prie -, il jugeait la guerre débile et se contrefoutait totalement des frontières. Pour lui, ce n’était qu’une débilité parmi tant d’autres pour prouver sa supériorité inexistante. Un caprice de la part de chefs ancestraux, que les meneurs actuels perpétraient. Non pas que le petit soit un anarchiste détestant la meneuse, non, au contraire ! Il appréciait Etoile de Panthère, qui le lui rendait bien. Etant le seul de toute la tripotée de gosses qui lui servait accessoirement de famille à avoir choisi sa destinée, il avait acquis l’estime du clan. Il était déjà apprécié avant son baptême d’apprenti-guérisseur grâce à son caractère peu commun, à son intelligence et à ses remarques totalement déplacées, mais le fait qu’il ait tenu tête à ses parents avait fait bondir sa côte de popularité au sein du Clan.
Reprenant sa marche d’un pas énergique, il s’engouffra dans le tunnel d’ajoncs, frétillant d’excitation. Il se mit aussitôt à trottiner. Par où pouvait-il trouver ses feuilles de souci ? Au torrent bien entendu ! . Tout fier de lui, il se remit donc en marche, se dirigeant vers ledit torrent. Quand il y arriva, le soleil avait basculé derrière l’horizon depuis un bon moment, et la nuit était noire. Levant les yeux au ciel, Nuage de l’Océan nota que la toison argentée était très visible cette nuit là. Super, c’est encore plus romantique. Trottinant dans la boue qui bordait le cours d’eau, le matou eut vite les pattes brunes, puis les flancs. Au bout d’un moment, il jugea que le plus rapide serait de se rouler directement dedans, et prit plaisir à se dandiner un moment dans le « liquide » bouillasseux. Lorsqu’il se releva, néanmoins, il sentait une odeur trop connue pour être rassurante. Clan des Saules. Si c’était un novice, il pourrait taper discute. Si c’était un adulte, il était mal barré. Etrangement, l’odeur était assez ténue, comme si le matou avait voulu la masquer. Le chaton haussa les épaules. Il était peut-être reparti chez lui ? Commençant à cueillir ses feuilles de souci, il fut bientôt pris par l’odeur des plantes. Jusqu’à ce qu’il entende un bruissement qui lui fit relever vivement la tête. Il jeta un coup d’œil circulaire. Il était toujours au près du torrent, dans une sorte de mini clairière entourée de buissons. Et le bruit venait d’un de ces buissons. Alors il trottina vers la source de bruit. Et découvrit un chaton roux. Une chatonne, plutôt. Inconnue. Un sourire se dessina sur les lèvres de Nuage de l’Océan.

« Salut, mademoiselle la novice du clan des Poissons. »

L’expression de stupeur qui se peignit sur le visage de la novice faillit faire éclater de rire Nuage d’Océan. Elle écarquillait les yeux, un peu comme un poisson hors de l’eau ou une vache à qui on tire la queue, ou encore une mouche qui vient de se poser sur une ... Ouais, comme une personne surprise quoi. Elle se contracta légèrement, comme si elle se retenait de sursauter, ce qui agrandit le sourire du guérisseur. Il était plus petit qu’elle, et elle flippait à moitié. Trop génial, il éprouvait un sentiment de supériorité des plus prégnants, malgré sa mini-taille et sa qualité de guérisseur. Son petit ballot de plante à la bouche, il devait avoir l’air bien con à sourire pour ne pas éclater de rire. OH ET PUIS MERDE. On s’en fout, sérieux, d’avoir l’air d’un trisomique sorti droit d’un asile psychiatrique ! Son sourire s’élargit encore – vive les liftings qui vous laissent la peau des joues toute souple -, et il posa son petit ballot d’herbe au sol. Il planta ses yeux dans les prunelles de son interlocutrice, qui se présenta sous le nom de Nuage Roux, « fière apprentie du clan des Saules ». Owih, ça confirme ce que je disais, tu es en mon pouvoir, parce que TU ES CHEZ MOI BWAHAHA. Et après, elle lui demanda son identité. Ou plutôt, elle le somma de se présenter. Mais mais mais maiiis c’est pas poli du tout ça, jeune fille ! Surtout quand on est pas chez soi ! A moitié choqué, il laissa planer un silence obstiné, qu’elle rompit par un petit « euh, je vais peut-être pas te déranger ... ». Mais tu ne me déranges pas du tout du tout ma chérie. Avec un sourire d’ortho-dentiste, il reprit la parole :

« Mais faut pas partiir, jeune fille ! Je suis pas un guerrier de toute façon, je ne peux pas t’en foutre une. Je suis le novice de Songe Mystique. Et toi, c’est qui ton mentor ? Elle est gentille, la Sardine en Chef ? »

Grand sourire innocent. Meuh non, il ne se fichait pas le moins du monde du clan adverse ! Il appelait bien son clan la tribu des pommes de pin. Bon c’était un peu moins original, mais c’était marrant quand même. Avec un petit sourire, il nota qu’il avait réussi à éviter de donner son nom. OMG, quel boss tu es, mon petit Poisson, c’est éblouissant, c’est choupinet, c’est juste trop craquant quoi. Sauf que non, ça servait strictement à que dalle. Alors avec un sourire éclatant – Colgate blancheur ! -, il ajouta :

« Je m’appelle Nuage de l’Océan. Enchanté. »

Quel gentleman. Il ne lui manquait plus que la tasse de Nespresso et Georges en personne était là pour dame Roussy. Et que je te donne une petite dosette pour que tu la mettes dans la cafetière et qu’on s’assoit ensemble dans les canapés en cuir de ma maison. Euh ouais non, en fait le café à cette heure là de la nuit, c’est pas conseillé, tu peux plus dormir après.

OMG, je pense que j’ai fumé.